LE VERBE GUÉRISSEUR
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MARUSHKA TZIROULNIKOVA

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ÉCRIRE

Écrire. Écrire. Écrire. Écrire pour quoi ? Écrire pour qui ? Écrire, pour moi, c’est thérapeutique, c’est comme accoucher de moi-même. Et après ? Qui cela va-t-il intéresser ? Que dire de plus qui n’ait jamais été dit ? Tout le monde se répète, dit de façon différente toujours la même chose. Qu’aurais-je donc de nouveau à dire, d’inédit, qui puisse intéresser quelqu’un ? Et justement, si c’est inédit, comment mes mots seraient-ils alors compréhensibles par des cerveaux qui ne fonctionnent que de la même manière depuis des millénaires. Et le mien d’ailleurs serait-il capable de fonctionner autrement afin de produire quelque chose d’inédit ? Toujours tant de questions qui me tourmentent sans cesse.
Lorsque je me couche le soir, je me dis que je vais m’endormir et demain sera un autre jour oui mais voilà, je ne dors pas, je ne dors plus depuis de si longues années ressassant encore et toujours les mêmes interrogations. Je tourne en boucle, à toute vitesse, je suis dans un rond-point, j’ai besoin de sortir, de prendre une voie, n’importe laquelle, j’ai besoin de foncer. Vers quoi ? Quel est mon but ? Quel sens donné-je à mon existence ? Et si plutôt que d’accélérer encore tant et plus, je levais le pied ? Et si je ralentissais ? Et si plutôt que d’emprunter une voie pour fuir ce tourbillon, je me posais, me reposais au centre du rond-point ? Vous savez, là où l’herbe est verte, où il y aurait un arbre peut-être, avec des oiseaux, des oiseaux qui chanteraient. Et puis, il y aurait du soleil et ses rayons traverseraient le feuillage de l’arbre pour venir se poser sur mon corps, pour caresser ma peau. Et moi, je serais assise, adossée au tronc de l’arbre et je me reposerais, enfin. Le monde cesserait de tourner juste pour un instant et je pourrais explorer mon monde, celui dont je suis le centre, et plus rien n’existerait à part le silence car le chant même des oiseaux ne parviendrait plus à mes oreilles et ne toucherait plus mon âme. Je vivrais alors un instant béni, un moment sacré, je cesserais d’exister et c’est alors que je serais, tout simplement.
Paradoxe me direz-vous ? Et pourquoi donc ? Alors que nous tentons tous de nous sentir vivants, alors que nous recherchons constamment l’approbation des autres, des signes de reconnaissance pour nous sentir, nous ressentir, le droit d’exister, j’ai vécu, moi, diverses expériences au cours desquelles j’ai trouvé la paix, je me suis sentie être, pleinement vivante, alors même que mon existence, que mon expérience sur cette Terre ne signifiait rien, absolument rien. Être insignifiante me rassure et m’apporte une sécurité que je n’ai jamais pu vivre autrement. Tandis que tout un chacun profère JE SUIS, aucun mot n’existe et n’exprime ce que l’on peut vivre alors dans cet état d’être qui n’est pas, qui n’est plus, qui n’a plus de besoins ni de désirs, qui n’a plus d’attentes.
Je me souviens de cet accident de voiture à Toulouse il y a quelques années déjà. Il est passé minuit, je conduis le véhicule de mon compagnon, il est assis à côté de moi. Je suis épuisée par la semaine écoulée. Je ne voulais pas être là, je ne voulais pas conduire, je ne voulais pas lui dire non. Tel est mon drame, être incapable de dire non, de me respecter et de rester ensuite campée sur ma décision. Si je ne réponds pas aux désirs de l’autre je me sens tellement coupable et cette culpabilité me dévore comme le ferait une énergie sombre, noire et compacte, comme de l’acide qui détruit tout sur son passage. Comme c’est étrange, déjà là alors, nous sommes à un carrefour qui ressemble étrangement à ce rond-point. Tous les feux de signalisations sont clignotants, les lumières m’aveuglent, je ne vois pas la ligne du stop marquée sur le bitume, je fonce, pressée de parcourir les 640 kilomètres qui nous séparent de la maison. J’entends la voix de mon ami :
- Freine !
J’appuie de plus belle sur l’accélérateur. Le choc est rapide, violent, je n’ai pas vu arriver la voiture qui nous percute de plein fouet, sur la droite. J’ai mal, la ceinture de sécurité me coupe la cage thoracique en deux, je suis pliée sur le volant, de la fumée s’échappe du tableau de bord et puis ce son strident, ce sifflement qui agresse mes oreilles et pourtant, je me sens si calme et si détendue.
- Ça va ?
J’entends très clairement la voix de mon compagnon, je me tourne et le regarde, je le vois, le reconnais mais il y a quelque chose d’étrange, d’inhabituel. J’ai la curieuse sensation d’être là et d’être ailleurs tout à la fois. Je crois que je lui souris tant ce que je vis m’est agréable et pourtant, je ressens très distinctement la douleur dans mon corps. Tout va très vite et je me sens en même temps hors du temps.
- Je suis désolée pour ta voiture, lui dis-je sans réfléchir.
- Sors, me répond-il.
Je pense à couper le contact et à sortir la clef que je garde dans ma main tandis que mon ami décroche ma ceinture. J’ouvre la porte, sors, toujours pliée en deux. Mon compagnon me suit, je sais que sa portière est coincée, enfoncée par le choc. Nous nous éloignons de la voiture fumante. Il y a des gens autour de nous, le conducteur de l’autre véhicule qui hurle, une femme qui vient vers moi, me demande si je vais bien. Une autre femme nous dit qu’elle vient d’appeler les pompiers, il y a beaucoup de lumières et moi, je me sens si bien, si sereine. Je vis chaque instant, chaque seconde avec un tel détachement que je savoure pleinement. Le conducteur de la grosse voiture qui nous a percuté s’avance vers moi, menaçant :
- Mais vous ne m’avez pas vu arriver ? Mais qu’est-ce que vous avez fait ? Qu’est-ce qui vous a pris ? Vous êtes dingue. Pourquoi n’avez-vous pas freiné ? J’étais prioritaire.
- Et bien non, je ne vous avais pas vu. Je suis désolée de ce qui s’est passé.
Ma voix posée, douce et grave semble le surprendre et il se calme instantanément. Mon compagnon, pragmatique, est déjà en train de remplir un constat, il va bien, c’est une bonne nouvelle. Voitures de police, camion de pompier, encore plus de flashs lumineux, encore plus de bruits. Je suis à la fois totalement actrice et spectatrice de ce qui m’entoure. Je réponds aux questions que l’on me pose, sans émotions, je suis polie et précise, j’ai mal à la poitrine, je suis toujours comme coupée en deux et je me sens en même temps si grande, si droite, si verticale. Un pompier bedonnant s’approche de moi et m’invite à le suivre dans l’unité de soins, je décline.
- Mais Madame, me dit-il l’air inquiet, je dois vous examiner, vous ne vous tenez pas normalement, vous comprenez ? Je dois m’assurer que vous allez bien.
Un policier est là, près de nous, il se penche pour me regarder dans les yeux :
- Madame, comment vous sentez-vous ?
Je lui souris en répondant :
- En ordre.
Incrédule, le policier répète :
- En ordre ?
- Oui Monsieur, je me sens parfaitement en ordre.
Comment expliquer à cet homme que je me sens alignée, verticale, en ordre quoi ? Comment lui exprimer, sans qu’il me prenne pour une folle et exige que je sois emmenée en observation à l’hôpital dans le service neurologie ou psychiatrie, que je me sens bien, que tout en moi est remis à sa place ? Comment lui parler du réalignement de mes différents corps énergétiques ? Comment lui dire que je suis à la fois ici et maintenant, en train de lui répondre et dans une tout autre dimension qui me permet d’être partout à la fois ? J’entends très distinctement le discours de l’autre conducteur, je vois les dégâts sur les deux voitures, je suis à côté de mon compagnon qui se laisse séduire par l’invitation d’un autre pompier, je vois tout et vis tout dans les moindres détails tout en ayant une vue d’ensemble sur la situation. Je me sens si insignifiante, si inintéressante et cela me procure une sécurité intérieure que je n’aurais jamais soupçonnée.
Le policier n’insiste pas, le pompier s’éloigne, je suis seule, enfin, en paix. Je souris encore.
Puis, mon ami me touche le bras.
- Mais qu’est-ce qui t’a pris ? Tu aurais pu nous tuer. 50 cm de plus et je perdais mes jambes.
- Mais tu es là et tu vas bien, tes jambes aussi.
- Tu es dingue, continue-t-il. J’ai toujours su que tu étais dingue.
- Sachant cela, pourquoi donc m’as-tu laissé la responsabilité de conduire ce soir ? Pourquoi t’es-tu laissé transporté, porté par moi ? Pourquoi n’as-tu pas pris soin de toi-même ?
Il me répond par un silence.
Le policier qui était venu m’interroger revient vers nous. Il nous dit qu’il a contacté notre assurance et qu’il est chargé par celle-ci de nous emmener dans un hôtel pour y finir la nuit. Nous prendrons un taxi tout à l’heure qui nous emmènera à la gare puis un train qui nous mènera finalement à la maison.
Je suis assise sur l’herbe, adossée à un arbre. Des oiseaux chantent au-dessus de ma tête et le soleil réchauffe ma peau et mon corps endolori. Il y a du trafic autour de moi je crois, du bruit, des mouvements, de l’effervescence. Je laisse le monde, ce monde, vivre ses hauts, ses bas, ses extrêmes tandis que dans le mien, dans mon monde, tout est silence et paix. Je suis partout et nulle part, je suis tout, je ne suis rien, je ne suis plus. Électrocardiogramme plat.
© Marushka Tziroulnikoff - Février 2018

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